Covid-19 : J’ai adoré Zoom jusqu’à ce que …

Illustration de Charlotte Allegret

Je trouve le temps long ! J’avoue. Comme beaucoup d’entre nous, je suis en manque “d’humain”. Et pourtant je partage mon confinement avec de beaux spécimens — à mes yeux — les meilleurs ! Au lendemain de l’annonce du prolongement du confinement, je voulais revenir sur un expérience collective inédite que j’ai vécue il y a peu et tenter de comprendre les mécanismes du travail à distance, ses limites et l’enjeu pour notre société d’après.

1er avril 2020 : j‘ai participé à un Serious Game 100% online avec plus de 80 participants qui proposait de vivre la vie d’un dirigeant d’entreprise en temps de crise Coronavirus : comprendre et visualiser l’ensemble de ses choix, appréhender ses options quant aux risques psycho-sociaux, gérer le facteur incertitude… tout (ou presque) y était! Les participants ont joué parfaitement le jeu, ça a duré plus de 2h. Ce jeu, c’est l’oeuvre de Charlotte ALLEGRET, Mélanie DEJARDIN et leur team qui ont conçu brillamment cet outil très prometteur, qui saura accompagner les organisations dans l’après-crise et le redémarrage.

Cette expérience virtuelle, elle a eu lieu sur Zoom.
Ben oui, quoi d’autre.
Zoom, notre meilleur allié professionnel — et pas que! — depuis le début de la crise.
Zoom, que je ne connaissais pas encore il y a encore 1 mois.

Aujourd’hui encore, en pleine séance de travail — sur Zoom — avec une de mes collaboratrices, nous nous félicitions de l’efficacité redoutable de cet outil. Jusqu’à ce que ça plante. Certes.
Cette anecdote d’apparence anodine m’a inspiré cet article.

Le point de départ : ensemble, c’est tout !

Le besoin d’être connecté aux autres. Un besoin fondamental. En 2010, la sociologue américaine Sherry Turkle publiait «Seuls ensemble. De plus en plus de technologies, de moins en moins de relations humaines» (Editions L’Échappée). Dans ce livre rapidement devenu une référence, elle montrait que la diffusion d’internet avait produit un paradoxe : les gens étaient physiquement ensemble, mais virtuellement isolés. Avec la mise en quarantaine de la France entière, c’est le contraire qui se passe : les gens sont physiquement isolés, mais virtuellement ensemble. Nous faisons donc aujourd’hui l’expérience d’une sociabilité de substitution : ce virus, qui nous assigne à résidence et nous oblige à revoir de fond en comble tous les codes de sociabilité et d’échange développés pendant notre ère capitaliste, est aussi le grand sacre de la technologie virtuelle.
Mon expérience du 1er avril dernier m’a étonnée. J’étais à la fois curieuse et sceptique sur le fait de fédérer plus de 80 personnes autour d’une expérience jusque là inconnue. Alors, certes, nous étions la plupart des participants, rompus au télé-travail et aux visios, car pour beaucoup consultants. Mais il était intéressant de constater que, alors que les 5 sens sont fortement sollicités dans les exercices d’intelligence collective , l’on pouvait reproduire des réflexes, mécanismes “online” sans trop de pertes.

Force est de constater que la vie virtuelle longue distance réserve de belles surprises. Du reste, dans le monde d’après, elle aura probablement gagné du terrain — maintenant que nous avons été contraints de découvrir son insoupçonnable potentiel.

Mais est-ce que l’expérience est si satisfaisante ? Ne comporte-t-elle pas des risques, des limites ?

Je suis allée demander à plusieurs personnes d’horizons professionnels différents comment elles vivaient ce passage en travail à distance forcé et tenter de comprendre si on pouvait coopérer durablement à distance.

Humain : 1. Télé-travail : 0

Quand j’ai posé la question de leur adaptation à la situation extraordinaire que nous sommes en train de vivre, Charlotte et Mélanie (les créatrices du serious game sus-cité), de vraies optimistes en la matière, n’ont pas failli à leurs fondements.

On peut toujours tout, l’humain est résilient mais il manquera quand même une part importante d’alchimie dans le face à face, on espère quand même que ça ne va pas trop durer. Ce qui nous manque le plus, c’est le côté pratique de {notre} méthode économico-social avec nos 24 tournevis dont une bonne part repose sur la manipulation, le senti, le toucher, impossible pour le moment à distance.

Dans le camp des pro-télétravail, il y a en effet la réduction du temps de déplacements, l’augmentation du temps de qualité à la maison, des gains de productivité et un meilleur équilibre travail-famille.

Violaine, directrice Stratégie et Brand Content chez Esprit des Sens, une agence de communication lyonnaise, était dans son univers professionnel déjà rompue à l’exercice :

Nous sommes habitués aux outils de travail à distance, au télétravail, au partage de docs avec nos clients, etc. Nous avions déjà réfléchi à des modules de réunions, même de séminaires, en distanciel avec tous les outils nécessaires : l’événementiel augmenté. La réduction de notre empreinte carbone est un autre effet vertueux de la crise. A l’avenir, on évitera sûrement certains déplacements inutiles, que l’on peut facilement remplacer par une visioconférence. “ ajoute-t-elle.

Les plus sceptiques rétorquent que cette flexibilité se paie. Ils s’inquiètent de la perte d’interactions sociales, de la nuance et du sens communautaire — et de la possibilité d’une baisse de productivité. Charlotte et Mélanie abondent dans ce sens.

Les écrans demandent beaucoup plus d’énergie et de concentration pour toutes les deux : Charlotte ne peut plus dessiner en même temps et Mélanie a ses filles à gérer en parallèle. Pas facile de gérer la temporalité non plus, on manque de repères et de sas pour rythmer le temps.

Pour Hélène, juriste dans la promotion immobilière, il n’y a pas de grand changement :

Depuis le début je n’ai pas tant changé mes habitudes de travail car beaucoup de mes interlocuteurs en interne étaient déjà éparpillés en France sur plusieurs agences. Nos dossiers étaient déjà sur des serveurs accessibles à tous et j’utilisais déjà beaucoup les visio, avec souvent un partage d’écran lorsqu’on travaille sur un acte écrit : internes ou via Skype Entreprise, Teams, voire d’autres comme Loop Up, Life Size pour les notaires ou autres. Je remarque qu’on met plus souvent la caméra qu’avant…un petit besoin de nous voir??

L’obligation d’inventer de nouvelles solutions…par écrans interposés.

Il y a là en effet un des enjeux de la reprise : il se peut que le télétravail devienne la norme pour bien des gens. De nombreuses entreprises vont devoir adapter leurs réponses techniques à ce besoin. Certaines, qui encourageaient déjà leur personnel à travailler à distance avant la pandémie afin de réduire les coûts immobiliers, vont probablement accélérer leur processus. “Personnellement, je passe mon temps en partage de connexion car à partir de 9h30, bim, plus de wifi Freebox. Donc je passe mon temps à me reconnecter à Internet et au VPN.” témoigne Hélène.

La crise et la mise à l’arrêt forcé de la plupart de nos entreprises ont révélé de gros écarts en matière d’équipements et de préparation à l’exercice. Charline, co-fondatrice du cabinet de conseil en RH Tie-Up observe dans ses missions quotidiennes avec ses clients industriels que la crise a creusé davantage de clivages entre équipes de production et personnels dans les bureaux.

Cela a parfois créé un sentiment d’injustice pour ces équipes de prod, notamment face à la protection contre le virus, malgré la mise en place de tous les gestes barrières et la remise d’équipements de protection. — Charline.

Des efforts considérables ont été faits cependant ces dernières semaines à tous niveaux : économique, politique, social. Il faut dire qu’il aura fallu et faudra encore faire preuve d’agilité et de réactivité. Charline, sur la partie RH et droit social, précise qu’elle a eu des semaines quelque peu “mouvementées”.

“Nous avons dû être très disponibles pour les différents interlocuteurs qui avaient, à juste titre, énormément d’interrogations sur la situation inédite que nous vivons. Nous avons vécu un véritable tsunami en gestion RH. Il a fallu être à l’affut du moindre changement du cadre légal (qui continue d’évoluer mais à un rythme moins élevé depuis 2 semaines). Cela nous a amené à avoir une veille juridique beaucoup plus accrue que d’habitude, d’avoir des liens directs avec des avocats en droit social afin de se faire confirmer des points particulièrement complexes.

Des mois de questionnements

La crise plonge également les entreprises, quelle que soit leur taille, dans des mois d’incertitudes. Charlotte et Mélanie notent qu’avec leurs clients des tabous commencent à s’installer :

“Un looping vicieux se met en place, on préserve sa propre trésorerie en appauvrissant celle de ses fournisseurs qui en ricochet vont appauvrir celle de leurs fournisseurs pour arriver jusqu’à celle de l’Etat (90%) et des banques (10%) qui va devoir taxer plus à la reprise, …

Se pose déjà la question du manque à gagner pendant toute cette période “trou noir” et du rattrapage post-crise.

Une organisation au cordeau

Pour revenir au sujet qui nous préoccupe aujourd’hui, le travail à distance, c’est un des secrets des “happy” télétravailleurs : une organisation béton de la journée de travail doublée d’une auto-discipline de fer.

A la fois, pour préserver un équilibre pro/perso . Hélène confie avoir pris tous ses mercredis, au lieu d’1 sur 2 habituellement. “On a inventé un nouveau concept: la garde alternée sans être séparés” ironise-t-elle.
Mais aussi pour assurer une bonne efficacité d’un point de vue professionnel, il est important de compartimenter sa journée.

“ Il faut trouver du temps pour se concentrer sur les sujets de réflexion et d’analyse alors que le télétravail exige beaucoup de réactivité.” — Violaine

Charline quant à elle reconnait le côté confortable de travailler à domicile.

Néanmoins, je trouve ça hyper fatiguant de passer la journée soit au téléphone, soit en visio. Donc finalement j’ai mis un planning de travail encore plus strict que d’habitude pour avoir des plages bien découpées entre les moments de travail et les moments perso, en incluant les missions moins motivantes.

Le besoin de contact et…

Un des aspects positifs à cette marche forcée au travail à distance, c’est bien l’acceptation quasi générale que, bon an mal an, ça fonctionne. Mais alors, peut-on s’en contenter ? Doit-on remettre à plat toutes nos organisations ? Manon, rédactrice freelance basée à Lyon, y voit un point positif :

Plus globalement, je pense que ces pratiques nouvelles, la désacralisation du télétravail vont permettre de dépoussiérer le monde du travail et permettre un flex’ office qui manquait dans certaines professions et certains milieux. — Manon, rédactrice freelance

Il est clair que certaines entreprises vont devoir accéder à la demande pressante de certains salariés, qui se sont parfaitement accomodés à ce mode de travail. Alexandra, responsable RH dans une société d’assistance pour la maison, constate au quotidien, après des semaines un peu folles, la remarquable adaptabilité des équipes.

Le déploiement du télétravail pour les plateaux d’appel, qui pour la plupart n’étaient pas habitués à ce mode de travail à distance, s’est plutôt bien passé car il a été accompagné par les managers, les équipes IT et les RH pour répondre à toutes leurs questions.

Elle ajoute même que certains salariés le vivent très bien et demandent d’ores et déjà la poursuite du télétravail car ils y voient plus de temps de sommeil (car pas de trajet), moins de fatigue, un meilleur équilibre vie pro/vie perso.

Toutefois, ce retour d’expériences concluantes est à prendre avec recul. Il est pour la plupart instauré depuis peu avec une échéance de fin définie. Pour Charline, chez Tie-Up, “les moments d’échange en face à face pour moi sont trop importants pour envisager une équipe éclatée en full remote”.

“Dans nos métiers de contact {de communication}, très naturellement, nous aurons de nouveau plaisir à nous rencontrer « en vrai », autour d’un café, pour partager plus que des heures de travail”. — Violaine

…le retour à l’essentiel !

Si l’on prend un peu de hauteur sur le sujet initial — le travail à distance, que l’on “dé-Zoom” en quelque sorte (sans jeu de mots!), il va falloir étudier comment la prise de conscience écologique, les formes de solidarité, les expériences de frugalité (certes contraintes), les nouveaux modes de collaboration, la méfiance vis-à-vis des foules, le consommer-local, … vont impacter notre rapport à la consommation des biens et des services, la mobilité, aux modes de vie, à l’habitat, au travail, à l’éducation, aux loisirs.

Tout ceci va— de fait — s’imposer également aux entreprises et impacter la vie économique dans les prochains mois, prochaines années. Pour exemple, la demande de RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) va continuer à se faire pressante.

Bien sûr, on en fera tous quelque chose, on le transformera pour l’imbriquer dans nos méthodes de travail, c’est un chemin de vie sur lequel on peut avancer, revenir en arrière, en découvrir d’autres qu’on n’avait pas vu ou imaginés avant, il n’y a pas d’avant/après, juste une trajectoire collaborative avec des expériences diverses et variées qui nous ouvrent et/ou nous imposent d’autres voies. — Charlotte et Mélanie

Fin 2019, dans le souci de s’inscrire dans la nouvelle loi PACTE pour les entreprises, nous avions développé avec Charlotte Allegret une offre spécifique pour accompagner les entreprises à construire avec toutes les équipes une vision innovante, impactante et efficiente de l’entreprise. Gageons que cette prise de conscience se poursuivra et trouvera une résonance positive dans ces innovations économiques et organisationnelles.

Car, oui, nous sortirons de cette crise, et nous nous retrouverons IRL* ! Grâce à notre résilience, et aussi et surtout grâce à l’acharnement quotidien du personnel soignant : médecins, infirmiers et infirmières sur le front. Bien sûr, le défi consistera à gérer “l’après”, à nous réinventer en tirant les bonnes conclusions.

Allez, 1 mois de plus.

De réflexion. De Zoom. D’entre-nous. D’entre-vous. D’entre-soi. D’entre-chez-soi-par-écran-interposé.

Le 11 mai. Peut-être. Nous l’espérons.

Continuez de prendre soin de vous et de vos proches et restez chez vous !

Souhila

Merci à Violaine, Manon, Charlotte, Mélanie, Alexandra, Charline et Hélène pour leurs témoignages et retours d’expérience.

*IRL : In Real Life. Dans la vraie vie !